PROGRAMME RESILIENCE - MARSABIT COUNTY - NORD KENYA
L’objectif global du programme RÉSILIENCE visait à lier les efforts humanitaires et de développement pour accroître la résilience des ménages, familles, communautés et systèmes vulnérables afin de rompre avec le cycle des crises alimentaires, nutritionnelles et sanitaires récurrentes au Nord Kenya.
I&S a concentré ses efforts dans la région du Sous-Comté de Sololo dans le Comté de Marsabit, dont 90% de la population totale vit sous le seuil de pauvreté absolue. Le mode de vie prédominant est culturellement et historiquement le pastoralisme nomade.
Les projets à ELLEBORR ont été destinés à répondre de manière efficace et durable à la perte des acquis et aux séquelles des chocs post traumatiques des personnes ayant survécu au déplacement forcé de Badha Hurri tout en soutenant la communauté-hôte les ayant accueillis.
Les projets à URAN se sont inscrits dans l’amélioration de l’accès à l’eau et dans le développement de l’enseignement public secondaire adapté aux populations pratiquant le nomadisme. Ils ont englobé également un volet de prévention de la radicalisation des jeunes populations déplacées par la lutte contre l’exclusion socio-économique.
Les projets à KALACHA se sont inscrits dans un second cycle de soutien aux secteurs éducatifs, sanitaires et économiques après la pérennisation des premiers projets.
Il s’agissait donc d’aborder, dans une même démarche, les causes des crises alimentaires et nutritionnelles aiguës et chroniques en aidant les systèmes communautaires vulnérables à accroître leurs revenus, à accéder aux infrastructures et aux services sociaux de base, puis à se construire un patrimoine en renforçant durablement leurs moyens d’existence.
CONTEXTE DU PROGRAMME RÉSILIENCE
Contexte géographique et peuplement du Comté de Marsabit
Loin du Kenya fertile et agricole de la province centrale, et loin des zones touristiques du Sud du pays, le Nord du Kenya étend ses plaines désertiques et ses escarpements volcaniques jusqu’aux frontières Ethiopienne, Sud-Soudanaise et Somalienne.
Considérés comme le berceau de l’Humanité, les territoires du Nord Kenya représentent 40% de la superficie du pays et sont peuplés par 20% de la population nationale. Sur ces terres arides peu propices à la vie humaine, la densité de la population est en moyenne de 4,4 habitant/Km2.
Des situations de conflits réguliers inter-claniques induites par des facteurs endogènes et exogènes ont, au cours de l’Histoire, marginalisé le Kenya septentrional du reste du pays.
Le Comté est peuplé par différentes communautés ethniques, comprenant essentiellement les ethnies couchitiques Rendille, Burji, Gabbra et Borana et les communautés nilotiques Samburu et Turkana.
Les jeunes de moins de 15 ans (environ 200 000) représentent 68 % de la population, et seuls 25% d’entre eux sont scolarisés en dépit du caractère obligatoire d’inscrire les enfants en primaire en République du Kenya.
Contexte climatique
Le Comté de Marsabit est une région aride, vulnérabilisée par de fréquents épisodes de sécheresse et de famine qui limitent tout essor économique significatif. Le réchauffement climatique compromet encore davantage la survie des troupeaux de la population, dont l’élevage est la principale activité économique. L’environnement aride et désertique ne permet des initiatives agricoles que dans des zones très spécifiques et rares, et nécessite une résilience particulière de la part des pasteurs et de leurs cheptels.
La chaleur sèche et intense de la majeure partie de l’année est interrompue par des pluies instables en avril et en mai, mais il n’est pas rare que les pluies soient absentes pendant plusieurs années consécutives, induisant des contextes récurrents de sécheresses et de famines lors desquels la rareté des ressources en eau et des pâturages exacerbe les conflits interethniques.
Début 2017, une sécheresse meurtrière, présente depuis plusieurs mois, avait atteint son pic de gravité en provoqué la mort de 95% du cheptel. Les pâturages étaient épuisés, les puits à sec, et la famine s’abattait sur la population.
Les racines historiques de la marginalisation des territoires du Nord Kenya
Les racines des conflits remontent à l’époque pré-coloniale. Ils se sont exprimés en fonction de causes endogènes et exogènes au cours de l’Histoire.
Les populations du Nord du Kenya ont toujours vécu du nomadisme.
Avant l’époque de la colonisation, ces communautés avaient recours aux vols inter-claniques lors des périodes de sécheresse pour compenser la perte de leur cheptel. Ce type d’action était collectivement perçu comme un signe de courage et de force par l’ensemble des sociétés traditionnelles. Ces raids et ces vols étaient régulés par un certain nombre de règles et par des médiations qui prévenaient les excès.
La période coloniale a provoqué un remaniement de frontières et a restreint la liberté de mouvements de l’ensemble des groupes, sans nécessairement leur permettre l’accès aux points d’eau.
Ce contrôle territorial a totalement déréglé le mode de vie et d’échanges des communautés Borana, Somali (groupe ethnique Kenyan) et Gabbra, très dépendantes des écosystèmes.
L’époque coloniale a été également marquée par un processus de classification raciale en fonction de caractéristiques physiques. Le peuple Oromo a été considéré sous l’occupation Britannique, comme une race différente de la race Africaine, creusant un fossé entre les Borana (Oromos) et les autres communautés.
Au début des années 1960, lorsque le Kenya se préparait à l’indépendance, les questions d’autorités majoritaires et minoritaires ont fait surface. Les problématiques des différentes zones constituant les Territoires de Frontière du Nord (NFD), composées de groupes culturels et linguistiques divers se sont révélées être sensibles et ambigües. La Somalie voisine appelait alors les populations du Nord du Kenya à rejoindre sa jeune république indépendante, dont l’idéologie politique prônait la constitution d’un état plus étendu.
Bien que les Borana et les Somaliens (principalement Musulmans) aient appartenu à la même famille linguistique Couchitique et aient pratiqué le pastoralisme nomade, leurs différences religieuses et culturelles n’ont pas autorisé la formation d’un front uni.
Les Borana étaient surtout en faveur de leur insertion dans une nation kenyane indépendante, en opposition aux protagonistes pan-somaliens.
Ils ont formé un parti politique, appelé l’Association Unie des Peuples Nationaux (NPUA), dont les plus ardents partisans étaient principalement des membres non musulmans du Comté de Marsabit et de Moyale, s’érigeant contre leur inclusion dans l’état somalien.
A la veille de l’indépendance, en 1962, la conférence de Lancaster House a été organisée à Londres pour discuter de l’avenir et de la résolution de différentes problématiques dans le cadre d’un Kenya indépendant.
Après son arrivée au pouvoir, le parti nationaliste kenyan (KANU) du Président Kenyatta, a consacré ses efforts sur le centralisme et mis en place un plan fédéral à court terme, omettant les questions du Nord du Kenya.
Les tensions se sont révélées puis intensifiées entre les deux groupes Borana, Somali et Somaliens. Elles ont culminé de 1965 à 1969 dans le conflit shifta (‘le bandit’), chapitre sanglant de l’histoire de la région du Nord du Kenya.
Le gouvernement Kenyan a déclaré le Nord Kenya « zone fermée » et a eu pour conséquence la marginalisation de tous les groupes ethniques du Nord Kenya, et particulièrement des Somali et des Borana.
Le peuple Borana a alors définitivement perdu la foi en la jeune nation Kenyane.
Les conséquences de telles tragédies en terme de marginalisation de cette communauté se sont cristallisées bien au delà des pertes de bétail, et du nombre de personnes tuées.
Dans la mémoire collective Borana, le temps des atrocités shifta est toujours rappelé comme « Gaf Daba », ou « la période où le temps s’est arrêté pour nous ».
Les années 1970 et les années 1980 ont été une période de mise en œuvre de plans gouvernementaux économique, sociaux et éducatifs dirigés par le Président Kenyatta. Ces plans n’ont pas incorporé les populations Couchitiques du Kenya du nord.
Les populations se sont senties de plus en plus étrangères à leur pays. La communauté Borana en a été considérablement affectée, contrairement au groupe Somali, qui s’est rapproché de son fort allié, la république Somalienne.
Dans les années 90, une nouvelle configuration de conflits est apparue avec l’émergence des seigneurs de guerre et le développement de circuits de commercialisation du bétail volé.
De ce fait et en raison des contrecoups de la politique interventionniste de l’Etat Kenyan dans le conflit Somalien, la situation de la province du Nord-Est s’est particulièrement aggravée.
A l’écart de tous les développements économiques, éducatifs et sanitaires, cette ethnie qui avait espéré contribuer à une époque post-coloniale prospère a vécu une existence difficile dans des régions désertiques dépourvues de sécurité.
Extrême pauvreté, enclavement et affrontements inter-claniques
Longtemps enclavé et dépourvu de réseau routier, le comté de Marsabit est maintenant traversé par une route en asphalte reliant Nairobi à l’Ethiopie, mais les territoires du Nord demeurent très isolés du reste du pays.
Les entreprises de services de construction ou de forages les plus proches sont situées à Nairobi, et cet enclavement constitue une importante entrave au développement car le coût des transports additionnels (25 heures de route et nécessité d’une escorte de protection) rend le plus souvent prohibitifs les prix des services, de ce fait presque deux fois plus élevés que dans le reste du pays.
L’aide humanitaire est rare, les actions de développement sont quasi inexistantes. La plupart des associations de développement se heurtent à court terme à des problématiques logistiques, en l’absence de routes et d’infrastructures opérationnelles face à la difficulté de recruter des équipes locales formées, et à l’insécurité latente.
Dans cette zone Nord-Est du pays, les efforts de la communauté internationale se sont majoritairement concentrés dans le gigantesque camp de réfugiés de Dadaab, installé en 1992 pour accueillir temporairement les réfugiés fuyant la guerre civile en Somalie.
Les 3 camps de Dadaab accueillaient plus de 260 000 réfugiés Somaliens. Les autorités avaient mis en relief l’utilisation du camp comme base arrière et vivier de recrutement de jihadistes et en ont réclamé la fermeture en mai 2017.
Les initiatives de soutien se sont concentrées dans les camps de réfugiés de Dadaab et Kakuma. Elles ont laissé pour compte les communautés enclavées pour lesquelles l’accès à l’eau, aux soins, et à l’éducation est un défi permanent.
La grande majorité de la population a adopté des mécanismes de survie.
Les tensions sont historiquement récurrentes autour des points d’eau, des pâturages ou du bétail entre les communautés Borana, Gabbra, Burji, Pokot, Samburu, Turkana et Rendille. Episodiquement, elles donnent lieu à des éruptions de violence meurtrière.
Des conflits meurtriers ont opposé les ethnies Turkana et Samburu dans la région du Lac Turkana, et les ethnies Borana et Gabbra dans la partie centrale du Comté.
En 2005, le village Gabbra de Turbi a été massacré par un groupe Borana lourdement armé. Après les élections de 2013, des gangs Gabbra ont décimé des communautés Borana. En 2014, ceci a provoqué le déplacement de plus de 28 000 personnes de la ville de Moyale vers les zones de la frontière Ethiopienne, moins exposées à la violence car majoritairement peuplées par la communauté Borana,
Au démarrage du programme, environ 50 000 personnes Borana étaient déplacées ou réfugiées dans des camps en Ethiopie.
Les mauvaises conditions d’hygiène et la pénurie d’infrastructures sanitaires
Les forages constituent la seule source fiable d’approvisionnement en eau potable, mais sont très rares dans le Comté, en raison du coût de leur réalisation. Seuls 15% de la population ont accès à des ressources en eau tout au long de l’année, dans cette région où les sécheresses et famines récurrentes sont devenues la norme.
Une personne utilise en moyenne entre 2 et 3 litres d’eau par jour. L’impact négatif de la pénurie en eau a de graves conséquences sur les humains et le bétail.
Le taux de maladies hydriques est élevé (60%), et la prévalence du péril fécal est une des causes d’une malnutrition persistante.
20% de la population utilisent des latrines, et 80% pratiquent la défécation à l’air libre. Le milieu environnant des zones de concentration humaine est dégradé par la prolifération des matières fécales. Cette prolifération entraine la multiplication des gîtes vecteurs de maladies telles la diarrhée, le paludisme, et le cholera.
L’apparition d’épidémies d’origine hydrique atteint son point culminant durant la saison des pluies, en grande partie en raison de la contamination des sources d’eau non protégées.
Le contexte du terrorisme au Nord Kenya et le risque de la radicalisation des jeunes
Les différentes communautés doivent faire front ensemble à un nouveau défi: les incursions anti-chrétiennes de milices djahadistes Al Shabaab issues de la Somalie voisine.
Créée en 2006, Al-Shabaab est une des milices les plus radicales de l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI), groupement ayant souhaité instaurer un Etat régi par la charia en Somalie alors que le pouvoir central, le Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) était jeune et affaibli.
Détachée de l’UTI en 2006, la milice Al-Shabaab a fait allégeance à Al-Qaida en 2009 et a gagné en importance en absorbant d’autres formations et en recrutant massivement. Ceci lui a permis de prendre le contrôle des ⅔ de la Somalie dont la capitale Mogadiscio, de 2008 à 2011.
Le Gouvernement Fédéral de Transition et l’AMISOM (mission de soutien à la paix de l’Union Africaine et de l’ONU depuis 2011) ont progressivement repris le contrôle des territoires.
Aujourd’hui Al-Shabaab est affaiblie mais continue de contrôler des zones rurales et de perpétrer des attentats et des exactions en Somalie et au Kenya.
Les attaques et attentats sont nombreux et ciblent les positions gouvernementales, l’AMISOM, les organisations internationales, et les populations civiles.
Le recrutement des Shabaab se fait parmi les individus soutenant la milice, mais il y a également un grand nombre de recrutements forcés. Al-Shabaab recrute notamment des enfants soldats, par la force ou par l’endoctrinement, pour les envoyer ensuite en première ligne.
Les Shabaab souhaitent contrôler les régions du Nord du Kenya et y imposer la charria.
Face aux multiples discriminations et attaques dont ils sont victimes, les Borana se sentent pris au piège entre des actions perçues comme une épuration ethnique de l’ethnie Gabbra d’une part, et les menaces d’une mouvance islamique radicale d’autre part.
Un risque de radicalisation réside dans ces inégalités, dans les effets de la stigmatisation et de l’absence d’intégration sociale nationale des jeunes Borana.